Filles de la mer • Mary Lynn Bracht

C’est un peu par hasard que j’ai croisé la route de ce roman. Les premiers avis étaient excellents et m’ont donné envie d’ouvrir cette magnifique histoire. Un pan de l’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale que je ne soupçonnais pas. Comme quoi, il reste encore tant à découvrir…

Sur l’île de Jeju, au sud de la Corée, Hana et sa petite soeur Emi appartiennent à la communauté haenyeo, au sein de laquelle ce sont les femmes qui font vivre leur famille en pêchant en apnée. Un jour, alors qu’Hana est en mer, elle aperçoit un soldat japonais sur la plage qui se dirige vers Emi. Aux deux filles on a maintes fois répété de ne jamais se retrouver seules avec un soldat. Craignant pour sa soeur, Hana rejoint le rivage aussi vite qu’elle le peut et se laisse enlever à sa place. Elle devient alors, comme des milliers d’autres Coréennes, une femme de réconfort en Mandchourie.

Ce roman est une véritable pépite historique dont je ne soupçonnais absolument pas la portée, la valeur. Il est encore meilleur que ce à quoi je m’attendais, il est bouleversant du fait de son importance et de l’hommage qu’il rend à des milliers de vies brisées par l’Histoire. Lire un récit d’une telle profondeur, d’une telle grandeur, c’est assez incroyable. D’autant plus, qu’en tant que femme, il est difficile de rester insensible à leur sort et leurs souffrances, leurs combats.

Les mots sont un pouvoir, lui avait dit un jour son père. Plus tu en connaîtras, plus tu auras de pouvoir. C’est pour cette raison que les Japonais ont banni notre langue natale. Ils limitent notre pouvoir en limitant nos mots.

Hana et Emiko sont deux sœurs, liées d’un grand amour fraternel ; Hana est une haenyeo, comme sa mère avant elle. Une plongeuse de l’île de Jeju, qui ne doit son indépendance qu’à cette activité professionnelle. Le jour où les soldats japonais débarquent sur la plage où Hana plonge, elle décide au péril de sa vie de sauver sa petite sœur en se faisant emmener à sa place. Emmenée en Mandchourie dans un bordel pour soldats japonais, elle va chaque jour vivre la cruauté des hommes, la violence et la prostitution forcée.

Presque 70 ans plus tard, Emi se rend aux manifestations du Mercredi. Hommages à celles qu’on appelait les « femmes de réconforts », ces manifestations visent à rendre justice aux nombreuses Coréennes qui furent arrachées à leurs villages, leurs familles et qui, pour la plupart, périrent sous la brutalité des soldats. Qui visent à rendre justice à celles qui ont survécu, qui sont rentrées et qui ont été stigmatisées, discriminées, obligées à vivre dans la pauvreté, du fait de ce qu’ils appelait leur « impureté sexuelle ».

L’histoire déchirante d’Hana et Emi se veut être celles de milliers de femmes, une parmi les 250 000 qui existent. Dense historiquement, Filles de la mer retrace l’histoire d’un pays sous l’annexion japonaise puis soviétique, l’oppression d’un peuple, la cruauté des sévices infligés, les sacrifices des familles et le combat des femmes enlevées, déracinées pour survivre dans cette guerre. Ce roman est un portrait de femmes fortes magnifique qui montre à quel point le courage, l’espoir de s’en sortir demeure au détriment des horreurs.

Filles de la mer est un hommage incroyablement bouleversant aux « femmes de réconforts » de l’Occupation japonaise en Corée. L’histoire d’Hana et Emi est celle de milliers de familles, de vies brisées. Puissant, déchirant, ce roman met en parallèle la cruauté de l’homme et l’espoir de voir un jour reconnu ces crimes de guerre.