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Paroles d’auteurs • Laurence Peyrin

Laurence Peyrin est une auteure que j’ai découvert l’année dernière avec Miss Cyclone qui a été un coup de foudre littéraire comme j’en rencontre peu. Au printemps, les éditions Calmann-Lévy m’ont envoyé son dernier roman, L’aile des vierges qui m’a également beaucoup bouleversée. A cette occasion, elle a accepté de répondre à quelques unes de mes questions.

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N°1 : « Personne ne mérite qu’on fasse le sacrifice de sa vie pour lui. Sinon on devient quelqu’un d’autre. » C’est une citation tirée de Miss Cyclone qui pourtant, après lecture de vos romans, me semble être assez caractéristique de vos histoires, du souffle de vos héroïnes. Avez-vous toujours souhaité mettre à l’honneur les femmes dans vos romans ? 

Les femmes, c’est moi. J’ai beaucoup plus de confiance en écrivant sur les femmes. Ce que je veux écrire à chaque fois, c’est l’ambivalence qu’on a chacune en nous. On n’est pas unique, on ne l’est jamais et malheureusement on n’a très peu de temps pour découvrir qu’on ne l’est jamais. C’est-à-dire que, quand on s’en aperçoit, c’est l’expérience qui nous le donne. Mais c’est peut-être trop tard pour s’en rendre compte. Une vie de femme, ça dure 100 ans et en plus, c’est une vie de bataille tout le temps.

N°2 : Hanna, Zelda, Angela, June, Maggie… Des prénoms féminins qui pourraient presque rimer avec audace, ambition, force, courage, féminisme. Elles incarnent le combat qu’on mène tous les jours, les batailles qu’on vit au quotidien. Ce qui est  d’autant plus impressionnant avec Maggie, c’est qu’elle mène ce combat des années auparavant alors qu’il sonne comme étant très actuel. Pourtant, elles demeure toutes fermement attachées aux hommes par l’amour.

Ce qui est important avec Maggie, c’est qu’elle est descendante d’une famille de féministes. J’ai voulu montrer, à travers Maggie, deux façons d’être féministe. Sa grand-mère qui rejette, qui est dans le féminisme revendicatif pour avoir les mêmes droits, le même salaire que les hommes. Puis, il y a la mère de Maggie, qui est dans un féminisme vindicatif, par principe contre les hommes. Aujourd’hui, il reste quand même une chose essentielle, c’est le rapport entre les hommes et les femmes et l’amour. A un moment, il faut quand même s’aimer ! 

Le fait d’écrire L’aile des vierges dans l’ambiance actuelle, c’est-à-dire d’écrire l’histoire d’une femme qui tombe complètement amoureuse d’un homme, c’était un petit peu comme un acte radical. Maintenant c’est tellement compliqué de parler de ça ! On a l’impression que quand on parle d’amour, tout de suite on est dans du romantisme et/ou de chick-littérature. J’ai voulu essayer de raconter une histoire d’amour à l’ancienne. Comme Autant en emporte le vent, Jane Eyre. Sans tomber dans le cliché. C’était une obsession de tous les jours parce qu’il y a une infinité de femmes, une infinité d’hommes. Essayer de faire ça, ça pose vraiment des problèmes quotidiens. Quand j’écris un livre, c’est vraiment pour que quelqu’un se mette à ma place, à la place de l’héroïne. Du coup, j’ai fini par me dire « écoute, écris des livres que tu as envie de lire toi ». D’après les retours que j’en ai, apparemment j’ai été comprise et j’en suis heureuse.

N°3 : Si ce n’est La drôle de vie de Zelda Zonk et L’aile des vierges (au départ seulement), vos romans se déroulent tous aux Etats-Unis. Pour quelles raisons ? Y avez-vous un attachement particulier ? Est-ce plus facile de raconter des histoires dans ce pays ?

Y’a pas de raison mais en même temps, pour moi, New-York, c’est ma ville. C’est ma passion, c’est l’endroit où j’espère habiter. Au-delà de ça, je pense que dans le fait d’écrire, plus on s’éloigne de l’endroit où on écrit, plus on est romanesque. J’habite à Grenoble et je pourrais difficilement écrire une histoire qui se déroule à Échirolles. Ce n’est pas romanesque pour moi, c’est mon quotidien. Après, il y a simplement une histoire d’amour. Il y a quelque chose qui explique qu’on tombe amoureux d’une ville, un principe et moi, je suis amoureuse de New-York. Ce n’est pas que c’est magnifique mais en tant que lectrice, le fait d’y aller, ce n’est pas uniquement les buildings ; c’est surtout les petits villages, les bibliothèques en bois. Il y a une histoire à New-York qu’on ne soupçonne pas parce qu’on a des cartes postales

N°4 : En 2015, La drôle de vie de Zelda Zonk reçoit le prix Maison de la Presse, ce qui propulse le roman sur le devant de la scène. Vous l’aviez tout d’abord édité en version numérique avant qu’il soit repéré par les éditions Kéro. Êtes-vous une lectrice numérique ? Comment avez-vous vécu cette expérience ? Qu’avez-vous ressenti à la réception du prix ? Peut-on imaginer un tel succès quand on commence à écrire un roman ?

Ça été compliqué ! Je n’ai jamais vécu l’attente devant la boite aux lettres quand on envoie un manuscrit. J’ai eu cette chance. J’ai utilisé les moyens modernes en publiant gratuitement mon livre sur une plateforme sur laquelle je ne lis même pas ! Je n’ai même pas de tablettes, je n’y arrive pas. J’aime respirer le livre. Quand je pars en vacances, j’ai plus de livres dans ma valise que de vêtements. Alors j’ai réfléchi parce qu’il fallait que j’y arrive donc j’ai publié La drôle de vie de Zelda Zonk sur Amazon et ce sont les librairies qui sont venus à moi. Je ne sais pas comment font les écrivains qui attendent les réponses… Quand on écrit un livre, on y met tellement de nous dedans ! Je me suis évité ça.

Je me souviens du soir où mon éditeur m’a appelé pour m’annoncer que j’avais le prix, c’était un mois avant la remise du prix. Je crois que je n’ai rien compris ! Je suis passée de la fille qui écrivait des romans toute seule à la bibliothèque municipale de Grenoble à celle qui recevait un coup de fil pour lui dire « est-ce que tu aimerais avoir le prix Maison de la Presse ? Parce que tu l’as ! ». C’était un moment où j’avais perdu mon chat quand j’ai reçu le coup de fil. Peut-être que si le chat est parti, c’est parce que je devais m’occuper de tout ça. Le chat n’est pas revenu et j’ai obtenu tout ce qui allait avec : les contrats, … C’est un des moments de ma vie qui est complètement incroyable. C’est un prix populaire, ce n’est pas le Goncourt ou le Femina qui se décide autour d’une table mais ce sont des libraires qui votent, qui choisissent. Sans les mépriser, je pense qu’il y a un côté authentique là-dessus.

N°5 : L’aile des vierges a été publié au printemps cette année. C’est un roman puissant et féministe, Maggie et John sont des personnages qu’il est très difficile d’oublier. Comment faire pour se remettre de ce processus d’écriture ? Pour passer à autre chose ? Travaillez-vous sur un nouveau projet ?

Je suis très en retard par rapport à mon prochain roman parce que j’ai beaucoup de mal à me remettre de L’aile des vierges. Parce que je ne voulais pas abandonner Maggie, parce que je suis amoureuse de John. La seule solution, c’est d’écrire quelque chose qui soit différent. Dans un autre endroit, avec une autre héroïne. Le truc, c’est d’aller à l’opposé de ce qu’on a écrit avant. Pour mon prochain roman, je suis en Floride, avec les alligators, les serpents, la mangrove. Avec des choses très différentes qui viennent faire le deuil du roman précédent. Quand j’ai eu fini d’écrire L’aile des vierges, j’en pleurais. C’était comme un baby-blues. Le problème, c’est de passer à quelqu’un d’autre. Vous savez, ce qui est dangereux là-dedans, c’est que quand vous inventez des personnages, ce sont des esquisses. Puis, à un moment, en écrivant tous les jours sur eux, ils deviennent vivants et on s’aperçoit qu’ils nous plaisent plus que la réalité. D’où le deuil qu’il y a à faire après chaque roman, d’où le baby-blues quand on met le point final. C’est à la fois un rendez-vous amoureux et une rupture. Avant de réécrire, on met du temps. Mais une fois que c’est parti, on se dit que ça va être la même chose !

N°6 : Enfin, si vous deviez choisir des romans à conseiller à vos lecteurs, des romans qui vous ont marqués ; quels seraient-ils ?

Alors, ça serait le livre de Nora Ephron, une journaliste et romancière américaine qui est morte dans les années 2000 et qui a scénarisé Quand Harry rencontre Sally. Elle a été mariée avec un des deux journalistes qui ont révélé le Watergate. Le livre s’appelle Crève-cœur et elle raconte son divorce, mettant des recettes de cuisine entre les pages. C’est fabuleux ! Il y a aussi Un mec parfait de John O’Farrell. C’est la première fois que je m’éclate autant avec un roman écrit à la première personne par un homme ! Il y en a peu. Autrement, je suis assez fan de Richard North Patterson. J’adore son livre Un témoin silencieux. Un livre que j’ai du lire 10 fois, c’est La Firme de John Grisham qui a fait un film avec Tom Cruise dans les annéeés 90. C’est le genre de livre, quand vous le commencez, impossible de l’arrêter. Enfin, le dernier livre que j’ai lu, c’est Anne Perry and the Murder of the Century de Peter Graham, sur l’histoire d’Anne Perry et le meurtre qu’elle a commis. C’est une femme qui habitait en Nouvelle Zélande et, à 16 ans, elle est tombée amoureuse d’une fille. Un jour, Anne Perry et sa copine ont fait une balade au bord de la falaise avec la maman de sa copine et l’ont tuée. Elles ont été emprisonnées toutes les deux. Un jour, Anne Perry est réapparue en écrivant des romans et elle a toujours caché cet aspect-là de sa vie. Je suis fascinée par cette histoire car ça veut dire qu’on peut avoir une deuxième vie.

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Un grand merci Laurence Peyrin d’avoir accepté de répondre à mes questions. La drôle de vie de Zelda Zonk et Hanna sont disponibles aux éditions Kéro et Pocket. Miss Cyclone est disponible chez Calmann-Levy et Pocket, L’aile des vierges également aux éditions Calmann-Lévy depuis le 28 mars.

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