Point Cardinal ♦ Leonor de Recondo

Leonor de Recondo est une auteure que je connaissais de nom, ma maman avait lu Amours et l’avait beaucoup aimé. J’ai souhaité découvrir sa plume avec son dernier roman, publié durant la rentrée littéraire.

Laurent rejoint femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Il s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Mais sa vie bascule quand, à la faveur d’un week-end solitaire, il se travestit pour la première fois. A son retour, Solange comprend que Laurent est un transsexuel qui s’ignore. Elle va convaincre ceux qui l’aiment de l’accepter.

Non seulement la littérature est à mes yeux la possibilité de dénicher des ouvrages, des plumes d’auteurs et des univers mais ce qui est encore plus novateur, c’est découvrir des textes qui sortent de l’ordinaire, du classique. Point Cardinal fait partie de ce genre de texte dont la force réside dans la neutralité, la tolérance avec laquelle l’auteure aborde la thématique de la transgenralité.

Laurent a une vie de famille rudement bien menée quand Mathilda prend peu à peu possession de son corps. Mathilda met une perruque et des talons, se maquille tandis que Laurent rentre le soir pour partager des moments avec sa famille, faire du vélo. Deux identités, une seule personne et un seul corps. Un corps qui habite l’envie, le désir d’être une femme et pourtant les organes génitaux d’un homme. Une transition compliquée que Laurent tente d’entreprendre, le jour où la sensation de ne pas se sentir dans le bon corps se fait sentir.

Combien de temps faut-il pour être soi-même ? Et je voudrais demander cela à tous ceux qui n’ont pas à changer de sexe. Combien d’années, de décennies, pour être en adéquation ? Adéquation de corps, adéquation de rêves, adéquation de pensées, avec ce que nous sommes profondément, cette matière brute dont il reste quelques traces avant qu’elle ne soit façonnée, lissée, rapiécée par la société, les autres et leurs regards, nos illusions et nos blessures.

Leonor de Recondo, de sa plume toujours respectueuse et juste, de son style élégant et raffiné, nous plonge dans l’intimité d’une famille bouleversée, retournée par l’annonce que Laurent fait un soir. Je suis une femme. Avec un vocabulaire finement choisi, l’auteure décrit la confusion des sentiments, des émotions, les mélanges et les amalgames, les interrogations, le désarroi mais aussi les peurs, les craintes et l’amour. Au-delà, c’est également la communication et la difficulté de se parler, de se comprendre qu’elle aborde. En l’occurrence, entre père et fils.

Point Cardinal aborde la question de l’acceptation de soi et questionne l’entre-genre, tout en bousculant les préjugés et sans jamais entrer dans les clichés, ni dans le pathos. La diversité de personnages et de point de vue est un véritable atout. L’alternance de la première personne et de la troisième personne du singulier permet d’entrer dans la tête, dans les pensées des différents personnages et de tenter de comprendre les réactions de chacun.

Tout nous pousse à nous déterminer. À le faire haut et fort. Décliner son identité. Je suis indéterminée, mon corps est un compromis. Je ne suis plus celui de ma carte d’identité, et Lauren n’existe pas officiellement. Si je ne me définis pas, suis-je vraiment ?

Un roman sensible, une plume délicate et tolérante, une ambiance intime aux nombreuses réflexions sur l’entre-deux genres, la quête et l’acceptation de soi et questionne la transgenralité, un sujet profond souvent considéré comme tabou mais très bien exploité par Leonor de Recondo. Une véritable réussite toute en émotion et en justesse.