Contemporain

Seule en sa demeure • Cécile Coulon

C’est le premier roman de la rentrée littéraire que j’ai lu, celui qui m’a attirée aussitôt. C’est aussi ma découverte de la plume de Cécile Coulon.

Le domaine Marchère lui apparaîtrait comme un paysage après la brume. Jamais elle n’aurait vu un lieu pareil, jamais elle n’aurait pensé y vivre.

C’est un mariage arrangé comme il en existait tant au XIXème siècle. À dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid d’un riche propriétaire du Jura. Mais très vite, elle se heurte à ses silences et découvre avec effroi que sa première épouse est morte peu de temps après les noces. Tout devient menaçant, les murs hantés, les cris d’oiseaux la nuit, l’emprise d’Henria la servante. Jusqu’au jour où apparaît Emeline. Le domaine se transforme alors en un théâtre de non dits, de désirs et de secrets enchâssés, « car ici les âmes enterrent leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles. »

On m’avait vanté la beauté de la plume de Cécile Coulon, je ne l’imaginais pourtant pas ainsi. Mystérieuse et hypnotique, elle emporte et captive dès les premières pages. Au cœur d’une forêt sur les hauteurs jurassienne, dans un XIXe siècle dominé par les hommes, on va suivre Aimée Deville, fille d’un général de guerre revenu blessé. Lorsque se présente aux portes de la propriété Candre Marchère, orphelin depuis ses cinq ans, élevé par une domestique à la mort de sa mère et veuf depuis peu, Aimée sait que cet homme sera son futur mari.

Dans son cœur, la peine avait fait place à un grand vide, son corps semblait rempli de coton sec et noueux. Son âme flottait à côté de son corps. Dans cet écrin d’air frais, de rosées tardives et d’odeurs apaisantes, elle se livrait à sa part la plus douce, la plus tendre.

S’il est aussi impénétrable que froid en apparence, il n’en demeure pas moins très beau et la jeune femme ne peut que tomber sous son charme. Il habite une propriété dans la Forêt d’Or, un manoir au milieu des bois à l’allure mystique, et si Aimée devrait se sentir heureuse d’être la nouvelle maîtresse de maison, tout lui semble pourtant très rapidement menaçant et rempli de mensonges. D’Henria, la femme de chambre jusqu’à Angelin, son fils biologique qui ne dit mot. L’autrice nous immerge alors dans son quotidien au domaine, tandis qu’elle va chercher chaque jour un peu plus sa place au sein de cette demeure dans laquelle elle se sent si seule.

« Le château se fondait dans la végétation, comme s’il était né de la forêt, protégé par elle sans qu’elle le dévore, habillé par ses feuilles et ses plantes grimpantes, bourdonnant d’abeilles, et pourtant étincelant et propre comme les costumes de Candre. Elle imaginerait un œil géant, de lumière et de verdure, tandis que la voiture s’arrêterait devant l’escalier, usé, vestige des caprices de Jeanne Marchère. Un œil immense posé sur elle, aux cils de vantaux plats, aux cernes de vitres impeccables. Elle ne saurait en ces lieux quoi répondre aux silences de la forêt. »

Au fil des pages, on sent une certaine tension qui s’installe en douceur. Un suspens hypnotique et mystérieux qui tient en haleine et rend la lecture oppressante. Les descriptions sont fines, profondes, qu’elles se concentrent sur les personnages ou sur le paysage, la nature et l’environnement. Chaque mot est précis, plein de comparaisons poétiques et habiles. On sent le poids des secrets, pesé de façon dérangeante. Et l’autrice, de son écriture à la fois fluide, aiguisée et puissante, nous plonge dans un récit captivant, rempli de mystères qui se dévore en apnée.

Quel récit à la fois mystérieux et hypnotisant ! La tension qui s’installe doucement au fil des pages tient en haleine et nous immerge dans une intrigue riche en secrets. Les descriptions lui apportent une dimension poétique et oppressante tandis que la plume aiguisée de Cécile Coulon est une merveille.

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